Dounia Taârji est en vacances“longue durée”.
La gendarmette de la Bourse a été débarquée du Conseil déontologique des valeurs mobilières, après huit ans passés à la tête de l’organe de régulation.
Bilan.Elle a troqué son tailleur sombre d’executive woman pour une tenue décontractée. A l’autre bout du fil, la voix calme et lointaine, un peu désabusée, elle nous lance : “Je vous entends très mal, je n’ai pas de réseau, rappelez-moi dans une semaine…“. Dounia Taârji est en vacances quelque part au Maroc, “des vacances de longue durée, plusieurs mois”, nous souffle un proche. Jeudi 19 février, le jour même de l’installation de Hassan Boulaknadel (lire encadré) à la tête du Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM), Dounia Taârji a fait ses cartons, avant l’incontournable séance d’adieu. Parmi ses quelque 80 cadres, certains ne parviennent pas à retenir leurs larmes, comme cette collaboratrice, qui se justifie presque : “Madame Taârji était très proche de ses employés, toujours joignable sur son téléphone, elle répondait rapidement aux emails. Vous savez, sept ans et demi, ce n’est pas rien”. Il y a quelques jours, alors qu’elle était en voyage à Washington, un coup de fil de Salaheddine Mezouar, ministre des Finances, l’a avisée de son remplacement. “Elle a dû sentir un grand soulagement, croit savoir un de ses adjoints.Déjà sous Fathallah Oualalou (ministre des Finances de 1998 à 2007, ndlr), elle avait émis le souhait de partir”. Peut-être… En tout cas, son départ n’a pas surpris grand monde. Depuis plusieurs mois, les rumeurs se faisaient de plus en plus pressantes dans le microcosme financier. Un milieu où elle baigne depuis près de 20 ans. C’est au début des années 1990 que la jeune diplômée d’une grande école de commerce parisienne rejoint le Crédit du Maroc, après avoir fait ses armes au Crédit Lyonnais. Repérée quelques années plus tard par le duo Adil Douiri - Amyn Alami, fondateurs de CFG (Casablanca Finance Group), Dounia Taârji est associée à la bande et prend les commandes de la branche corporate de la banque d’affaires.Le CDVM noyauté2001 : année épique. Dounia Taârji est nommée par Mohammed VI directrice du CDVM. Mais cette nomination, due pour certains à sa proximité avec le conseiller royal André Azoulay fait jaser. On craint que la gendarmette de la Bourse privilégie ses anciens partenaires. D’autant que, quelque temps plus tard, le CDVM est “noyauté” par le top management de CFG : Amyn Alami est désigné membre du conseil d’administration du CDVM, tandis que Younès Benjelloun, un des directeurs associés de CFG, alors président de l’association des sociétés de Bourse, intègre la commission paritaire, chargée d’approfondir les enquêtes de l’autorité de marché.Premier fait d’armes : en 2005, la CD2G, filiale de l’omnipotente CDG (Caisse de dépôt et de gestion) est dans la ligne de mire du CDVM, pour une histoire de manipulation de cours. Les représentants de la CD2G refusent de s’expliquer devant la commission paritaire, crient au conflit d’intérêts, et demandent à être entendus par le conseil d’administration, présidé par Fathallah Oualalou. L’affaire est classée sans suite, pour vice de forme. Deux ans plus tard, en 2006, lors de l’introduction en Bourse de Risma, CFG, qui pilote l’offre de vente publique, refuse de communiquer une liste de personnes bénéficiant d’un pactole d’actions à un prix préférentiel. Le CDVM n’y trouve rien à redire. “S’il n’y avait rien d’anormal, le CDVM aurait dû jouer la carte de la transparence et rendre publique cette liste”, explique un broker. “Aujourd’hui, il y a deux énigmes non résolues au Maroc : l’affaire Risma et l’affaire Ben Barka”, plaisante notre source.Mars 2008, le CDVM inflige une amende de dix millions de dirhams à la banque d’affaires Upline Securities pour “non-respect des règles liées à la souscription”. L’autorité de régulation statue également sur les cas de Safabourse, d’Attijari Intermédiation et de BMCE Capital Bourse, qui s’en tirent à bon compte avec respectivement un blâme, un avertissement et une mise en garde. Quant à CFG Marchés, elle a été écoutée, puis lavée de tout soupçon.La même CFG est à nouveau blanchie dans une autre affaire. Lundi 22 septembre 2008, une semaine après le krach boursier qui a secoué la Bourse de Casablanca, le très officiel Matin du Sahara clouait au pilori la patronne du CDVM. D’après le quotidien, Dounia Taârji aurait fermé les yeux sur les opérations peu orthodoxes de son ex-employeur, la banque d’affaires CFG, accusée de “diffusion d’informations confidentielles, de manipulation des cours, d’ordres de vente fictifs destinés à déstabiliser le cours d’Addoha et de la CGI”. Graves, très graves accusations, qui remettent en cause la crédibilité de l’autorité du marché. Surtout, la position du journal officiel raisonne comme une sentence prononcée avant l’heure.Independence dayMême les détracteurs les plus virulents de Dounia Taârji s’accordent sur un point : le CDMV a connu un “saut quantique” pendant son mandat. De fait, l’ère Taârji a accompagné la phase d’expansion de la Bourse. “Les ressources humaines du CDVM se sont accrues, le Conseil a fourni une grande quantité de circulaires. Alors qu’il aurait pu constituer un goulot d’étranglement, le Conseil a validé presque une note d’information tous les quinze jours”, énumère ce collaborateur de Dounia Taârji. On se souviendra néanmoins de son “loupé”, suite à l’introduction en Bourse de Maroc Telecom en 2004. Contrairement à la note d’information diffusée à Paris, celle de Casablanca fait l’impasse sur une créance irrécouvrable de 300 millions de dirhams laissée par GSM Al Maghrib, un distributeur de produits télécoms, propriété de Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi. Mais l’histoire, clémente, retiendra que l’époque Taârji s’est accompagnée du changement de statut du CDVM, devenu, début décembre, une agence indépendante du ministère des Finances.Sauf que Madame Taârji ne sera pas là pour récolter les lauriers. Fin 2008, les investisseurs institutionnels montent au créneau. “Ils attendaient la dernière séance de l’année pour acquérir des titres BMCE dévalués, histoire de baisser leur coût moyen d’acquisition et donc de réduire les provisions pour dépréciation de cours”, explique cet analyste. Surprise de dernière minute, le 31 décembre, le CDVM accède à la demande de BMCE de suspendre son action, en raison d’une opération stratégique. Les acheteurs enragent, le CDVM est pointé du doigt, et Dounia Taârji saute quelques semaines plus tard… Sans doute pour l’ensemble de son œuvre.